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Gravure sur la fontaine à Parfum de l'entreprise Brocard & Cie - Salon Khodynka en Russie, 1882 |
Henri Brocard occupe une place trop discrète dans l'histoire moderne de la parfumerie. A peine son nom est-il cité dans les ouvrages de référence occidentaux. Il était pourtant un industriel français majeur et un chimiste à la pointe dans le domaine des cosmétiques sur l'ensemble du continent européen, en cette pleine expansion industrielle au XIXe siècle.
Aussi il convient de redonner à Henri Brocard toute la place qu'il mérite dans l'histoire de la parfumerie mondiale.
Cependant sa faiblesse pour l'Histoire avec un grand H, est probablement d'avoir été un entrepreneur hors pair français, mais installé en Russie. Ce pays compte énormément dans l'histoire du monde, mais pour l'histoire de la parfumerie, elle s'écrit à Paris, bien plus qu'à Moscou. Ainsi de façon coutumière Henri Brocard est bien souvent oublié dans cette belle aventure humaine olfactive qui flatte notre sens le plus subtil.
L'université d'Harvard lui donnera néanmoins une place de choix dans une thèse récente (2010), reprise dans l'ouvrage de référence "
Beauty Imagined: A History of the Global Beauty Industry", où l'importance de l'entreprise Brocard est reconnue en 1914, comme une des principales sociétés de cosmétique dans le monde, en volume et en chiffre d'affaire.
Une thèse récente en Europe "
La chimie des élégances : la parfumerie parisienne au XIXe siècle : naissance d'une industrie du luxe par Eugénie Briot" soutenue au CNAM (2008), n'évoquera pas Henri Brocard. Il reçoit pourtant en 1900 la médaille d'or à Paris pour ses parfums lors de l'exposition universelle, mais dans le pavillon Russe, car les français refusaient qu'il expose dans celui de la France, étant français certes, mais un parfumeur et industriel en Russie.
L'invention marketing géniale d'Henri Brocard d'une fontaine de parfum lors de l'exposition Khodynka - salon de l'industrie et de tous les arts de Russie - ne sera de la même façon pas reconnue en France. Semble-t-il, le célèbre écrivain Emile Zola l'avait déjà évoqué dans son roman "Au bonheur des dames", dans ces termes :
« Ce qui ravissait, c’était, au milieu, une fontaine d’argent, une
Bergère debout sur une
moisson de fleurs, et d’où coulait un filet continu d’eau de violette,
qui résonnait musicalement dans la vasque de métal. Une senteur exquise
s’épandait alentour, les dames en passant
trempaient leurs mouchoirs »
Pour les historiens cela existait au Bon Marché, puisque Zola dans ses prises de notes multiples sur les grands magasins, l'avait retenu pour son livre.
Néanmoins les dates ne coïncident pas. Henri Brocard prépare son projet d'une fontaine à parfum depuis déjà quelques temps, pour l'exposition de Khodynka qui se tient en 1882. Emile Zola publie son ouvrage en décembre 1883.
Pour lancer son Eau de Cologne à fleurs, Henri Brocard pense avec sa femme Charlotte à une fontaine à l'air libre diffusant ce parfum. Le succès marketing est inimaginable. Les 6000 visiteurs de ce salon sont attirés par cette fontaine comme un aimant. Les femmes y trempent leurs mouchoirs, les hommes des chemises, un morceau de manteau, des chapeaux. Une personne y plonge... La police doit intervenir et n'arrive pas à retenir la foule. La presse s'empare du sujet. L'impact devient international.
A l'occasion du salon, l'entreprise Brocard reçoit également la médaille d'or pour ses produits.
Emile Zola a-t-il entendu cette histoire, puisqu'il reprend exactement dans son roman l'anecdote des femmes trempant leurs mouchoirs ? C'est fort probable. Dans le domaine du commerce, les foires russes étaient également prisées par de nombreux français en voyage d'affaire qui glanaient des idées ou développaient de nouveaux projets. Cette histoire a sans doute circulé en France, en écho à la presse russe ou par les voyageurs de passage évoquant leurs étonnements sur ce salon.
Toujours est-il, que c'est après 1882 et cet évènement, qu'Emile Zola traite dans son roman publié en décembre 1883, de cette fontaine à parfum. Il ne précède donc pas l'évènement lancé par Brocard mais le suit plus d'un an plus tard. Entre temps Henri Brocard vend chaque année des millions de flacons en Russie de son Eau de Cologne aux fleurs multiples. La firme deviendra par la suite fournisseur de la cour impériale du Tsar.
La Russie, pays de tous les possibles, alliée au sens de l'innovation français de l'époque, faisait des merveilles au XIXe siècle.
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Lithographie librement interprétée sur la fontaine à Parfum de l'entreprise Brocard & Cie - Salon Khodynka en Russie, 1882 | | |
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