jeudi 10 mars 2016

Rencontre avec un géant de la parfumerie Française et Russe

Rare photo familiale avec Henri Brocard, parfumeur, à Moscou un peu avant 1900, dans un bureau de l'usine. Plaque de verre - Verascope. © Famille Brocard - Roure - Estrangin.
Sur cette photo des archives familiales, tirée d'une plaque de verre d'un Verascope, on peut observer sur la gauche le parfumeur Henri Brocard, en train de remettre une fleur à une jeune laborantine.
Sur la droite une affiche publicitaire art nouveau, se distingue à peine du papier peint composé de multiples bouquets disséminés.

Dans cette pièce de l'usine, nous plongeons au cœur de l'univers floral d'Henri Brocard. Tout suggère ce qui fit le succès de l'entreprise : la décoration intérieure des bureaux de l'usine, le geste charmant d'offrir un bouquet comme il le fit avec la famille du Tsar, et tous ces parfums sous-jacents suggérés ici et qui firent la renommé de la firme éponyme.

Cette photo est unique. L'original appartient à la famille. Nous invitons nos amis russes qui ne manquent pas de puiser avec excès bien souvent dans la banque d'image de ce site, à citer leurs sources en établissant un lien avec l'url vers ce blog si vous souhaitez rediffuser cette photo. Dans le cas contraire, tout autre usage est une copie non autorisée.


mercredi 9 mars 2016

Parfumerie : les avant-gardistes et innovateurs en Russie au XIXe



Gravure sur la fontaine à Parfum de l'entreprise Brocard & Cie - Salon Khodynka en Russie, 1882

Henri Brocard occupe une place trop discrète dans l'histoire moderne de la parfumerie. A peine son nom est-il cité dans les ouvrages de référence occidentaux. Il était pourtant un industriel français majeur et un chimiste à la pointe dans le domaine des cosmétiques sur l'ensemble du continent européen, en cette pleine expansion industrielle au XIXe siècle.

Aussi il convient de redonner à Henri Brocard toute la place qu'il mérite dans l'histoire de la parfumerie mondiale.

Cependant sa faiblesse pour l'Histoire avec un grand H, est probablement d'avoir été un entrepreneur hors pair français, mais installé en Russie. Ce pays compte énormément dans l'histoire du monde, mais pour l'histoire de la parfumerie, elle s'écrit à Paris, bien plus qu'à Moscou. Ainsi de façon coutumière Henri Brocard est bien souvent oublié dans cette belle aventure humaine olfactive qui flatte notre sens le plus subtil.

L'université d'Harvard lui donnera néanmoins une place de choix dans une thèse récente (2010), reprise dans l'ouvrage de référence "Beauty Imagined: A History of the Global Beauty Industry", où l'importance de l'entreprise Brocard est reconnue en 1914, comme une des principales sociétés de cosmétique dans le monde, en volume et en chiffre d'affaire.

Une thèse récente en Europe "La chimie des élégances : la parfumerie parisienne au XIXe siècle : naissance d'une industrie du luxe par Eugénie Briot" soutenue au CNAM (2008), n'évoquera pas Henri Brocard. Il reçoit pourtant en 1900 la médaille d'or à Paris pour ses parfums lors de l'exposition universelle, mais dans le pavillon Russe, car les français refusaient qu'il expose dans celui de la France, étant français certes, mais un parfumeur et industriel en Russie.

L'invention marketing géniale d'Henri Brocard d'une fontaine de parfum lors de l'exposition Khodynka - salon de l'industrie et de tous les arts de Russie -  ne sera de la même façon pas reconnue en France. Semble-t-il, le célèbre écrivain Emile Zola l'avait déjà évoqué dans son roman "Au bonheur des dames", dans ces termes :

« Ce qui ravissait, c’était, au milieu, une fontaine d’argent, une Bergère debout sur une moisson de fleurs, et d’où coulait un filet continu d’eau de violette, qui résonnait musicalement dans la vasque de métal. Une senteur exquise s’épandait alentour, les dames en passant trempaient leurs mouchoirs »

Pour les historiens cela existait au Bon Marché, puisque Zola dans ses prises de notes multiples sur les grands magasins, l'avait retenu pour son livre.

Néanmoins les dates ne coïncident pas. Henri Brocard prépare son projet d'une fontaine à parfum depuis déjà quelques temps, pour l'exposition de Khodynka qui se tient en 1882. Emile Zola publie son ouvrage en décembre 1883.
Pour lancer son Eau de Cologne à fleurs, Henri Brocard pense avec sa femme Charlotte à une fontaine à l'air libre diffusant ce parfum. Le succès marketing est inimaginable. Les 6000 visiteurs de ce salon sont attirés par cette fontaine comme un aimant. Les femmes y trempent leurs mouchoirs, les hommes des chemises, un morceau de manteau, des chapeaux. Une personne y plonge... La police doit intervenir et n'arrive pas à retenir la foule.  La presse s'empare du sujet. L'impact devient international.
A l'occasion du salon, l'entreprise Brocard reçoit également la médaille d'or pour ses produits.

Emile Zola a-t-il entendu cette histoire, puisqu'il reprend exactement dans son roman l'anecdote des femmes trempant leurs mouchoirs ? C'est fort probable. Dans le domaine du commerce, les foires russes étaient également prisées par de nombreux français en voyage d'affaire qui glanaient des idées ou développaient de nouveaux projets. Cette histoire a sans doute circulé en France, en écho à la presse russe ou par les voyageurs de passage évoquant leurs étonnements sur ce salon.

Toujours est-il, que c'est après 1882 et cet évènement, qu'Emile Zola traite dans son roman publié en décembre 1883, de cette fontaine à parfum. Il ne précède donc pas l'évènement lancé par Brocard mais le suit plus d'un an plus tard. Entre temps Henri Brocard vend chaque année des millions de flacons en Russie de son Eau de Cologne aux fleurs multiples. La firme deviendra par la suite fournisseur de la cour impériale du Tsar.

La Russie, pays de tous les possibles, alliée au sens de l'innovation français de l'époque, faisait des merveilles au XIXe siècle.

Lithographie librement interprétée sur la fontaine à Parfum de l'entreprise Brocard & Cie - Salon Khodynka en Russie, 1882



Henri Brocard : entrepreneur français à Moscou - parfumeur et collectionneur

Colloque où intervient Nicole Cherpitel dans le cadre de ses recherches partagées sur notre ancêtre Henri Brocard.
J'aimerais attirer l'attention du public sur un document de référence, rédigé par Nicole Cherpitel et Olga Okouneva, au sujet des dernières recherches sur notre ancêtre Henri Brocard.

"Cette histoire de famille est celle d’Henri Brocard. La présente communication s’appuie sur le témoignage oral de mon arrière grand-mère, Eugénie Ferrand, née Brocard, fille d'Henry, et les archives familiales et les recherches aux archives de Moscou. Arrivé à Moscou en 1861, à 22 ans, il y fonde deux ans plus tard et dirige pendant quarante ans une entreprise de fabrication de savons, puis de parfums. En étroite collaboration avec sa femme, il applique une stratégie commerciale qui démocratise les produits d’hygiène et de parfumerie en Russie. Un parcours de vie qui s’inscrit dans une histoire plus vaste, celle du développement du capitalisme. Mais Henri Brocard est davantage qu’un industriel. Amateur d’art et mécène, sa collection de tableaux et objets rassemblée pendant trente ans, est plus éclectique que scientifique. A partir de 1890, il l’ouvre régulièrement au public dans les Galeries Commerciales du Goum.
A sa mort, le 16 décembre 1900, trois de ses enfants dont mon arrière grand-mère continuent son œuvre jusqu’à ce que la Révolution de 1917 ne vienne bouleverser le destin familial."

Si le parcours exemplaire de cet industriel français en Russie, se retrouve évoqué sur différents sites web sur la toile depuis les années 2009-2010, les informations disponibles ne viennent principalement que du livre sur le Jubilé de l'entreprise Brocard, sans vraiment nous offrir un regard neuf et plus pointu sur ce parfumeur-inventeur.

Même si l'histoire ne se ré-invente pas, il est souvent très judicieux de retourner aux sources. En analysant les archives publiques ou privées, en vérifiant les dates, en collectant de nouvelles informations auprès des descendants, on ne cesse de continuer à apprendre pour nourrir le présent.

Cette démarche plus fine, n'est pas menée par nostalgie, mais dans le souhait de donner une juste place aux acteurs, en tentant autant que possible d'échapper à l'influence d'une vision politique, sans tomber dans la complaisance de l'histoire familiale, et surtout pour perpétuer la mémoire des hommes avec plus de justesse et d'impact.

Je vous invite ainsi à lire le compte-rendu de cette intervention, rédigé à la fois en Russe et en Français : disponible ici sur le site Academia.